En raison des changements réglementaires et de la commercialisation de nouvelles spécialités, les recos relatives aux traitements de substitution aux opiacés ont été actualisées par les Ordres des médecins et des pharmaciens. Elles visent à améliorer la prise en charge des patients mais aussi à protéger les professionnels de santé et à lutter contre le trafic des médicaments substitutifs. Que faut-il savoir en MG ?

Trois principales nouveautés sont à signaler :

  • la possibilité d’exclure la substitution du Subutex (buprénorphine) par une spécialité générique, justifiée par la marge thérapeutique étroite, en apposant la mention « Non substituable MTE » sur l’ordonnance ;
  • l’ordonnance électronique : déploiement obligatoire au plus tard le 31 décembre 2024 ; transmise directement et de manière sécurisée au pharmacien et remise au patient avec un QR code (plus difficile à frauder) ;
  • la recommandation de mettre à disposition de la naloxone de façon systématique auprès des personnes exposées à un risque de surdose ou de leur entourage.

Grands principes du TSO

Ces recommandations de l’Ordre et celles de la HAS de 2022 énoncent quelques grands principes du TSO :

  • Définir les objectifs thérapeutiques en concertation avec le patient avant toute prescription initiale (décision médicale partagée) et les réévaluer régulièrement.
  • Proposer des interventions psychosociales et d’accompagnement par les associations d’usagers, en complément (nécessité d’une prise en charge holistique afin d’identifier les causes et limiter le risque d’entretien de l’addiction).
  • Expliquer tous les aspects du TSO : dispensation, suivi, observance du cadre et des règles spécifiques à ces médicaments, bon usage, effets indésirables, contre-indications, précautions et risques, etc.
  • Prendre un avis spécialisé en cas de situation particulière ou de difficulté : comorbidités, co-addictions, traitements associés, grossesse, âge, demande inappropriée de l’usager, déroulement inhabituel de la prise en charge…
  • L’instauration d’un TSO ne doit pas être faite dans l’urgence sans avoir au préalable sécurisé la prise en charge : dépendance physique aux opioïdes confirmée (v. encadré 1 pour l’examen clinique préalable), projet de soins défini intégrant la dimension de réduction des risques et des dommages (particulièrement en cas de maintien de la consommation d’opiacés illicites), éducation du patient au bon usage, absence de contre-indication...
  • Le dialogue entre médecins et pharmaciens doit être systématique : lors de la première ordonnance ; lorsque le patient n’est pas connu (s’il a déjà eu un TSO, une concertation avec les précédents prescripteur et dispensateur est recommandée) ; à chaque modification des posologies ou chevauchement ; devant toute difficulté.

Le TSO en médecine générale

Prescription de la buprénorphine HD

En médecine générale, seul un TSO par buprénorphine peut être instauré, la prescription de méthadone étant réservée aux addictologues. Les différentes spécialités de buprénorphine haut dosage (BHD) associées ou non à la naloxone sont listées dans le tableau ci-contre.

Deux nouvelles formes galéniques à libération prolongée sont disponibles (injection et implant sous-cutanés), mais leur prescription est réservée aux centres hospitaliers ou CSAPA ; cette modalité est envisagée en cas de gêne du patient par une prise quotidienne, non-sécurisation du stockage des opioïdes à domicile, observance insuffisante, ou risque de détournement.

La buprénorphine est recommandée lorsque l’objectif est l’arrêt de la consommation d’opioïdes. En revanche, elle n’est pas adaptée si l’objectif est une simple réduction de la consommation, en raison de ses propriétés pharmacologiques (action agoniste partielle, forte affinité aux récepteurs) ; c’est la méthadone qui est alors recommandée. L’initialisation du traitement en pratique (titration, conseils pour les patients) est détaillée dans l’encadré 2 ci-dessous.

Si la buprénorphine est plus sûre que la méthadone vis-à-vis du risque de surdose, l’usage détourné du traitement est plus fréquent puisque, étant donné la faible biodisponibilité de la BHD par voie sublinguale et la relative difficulté de la prise de ce type de comprimés, de nombreux patients utilisent la voie intranasale ou intraveineuse pour en modifier l’effet. La forme lyophilisat a une vitesse de dissolution plus rapide ; s’il convient de laisser le patient choisir sa forme galénique, il faut tenir compte de la non-interchangeabilité entre les deux formes sans nouvelle titration, car leur biodisponibilité n’est pas équivalente.

La mise à disposition systématique de naloxone est recommandée par l’Ordre. Tout médecin peut la prescrire et toute pharmacie peut en délivrer. La spécialité Prenoxad (voie IM) n’est pas soumise à prescription médicale, contrairement à Nyxoïd (voie nasale).

Ordonnance électronique sécurisée : nouveauté

La prescription électronique des médicaments stupéfiants et assimilés est désormais possible (décret n° 2023 - 1222) et les professionnels concernés devront se conformer à l’obligation de dématérialisation des prescriptions au plus tard le 31 décembre 2024.

En pratique : le médecin établit l’ordonnance numérique au moyen des téléservices de l’Assurance maladie. Elle est transmise directement et de manière sécurisée au pharmacien. La version imprimée remise au patient comporte un QR code avec un numéro unique de prescription.

En cas d’impossibilité de prescription dématérialisée (problème technique, impossibilité d’identification du patient via les services numériques…) : rédiger une ordonnance papier mentionnant les raisons de cette impossibilité et conforme aux spécifications techniques de l’ordonnance sécurisée :

  • nombre d’unités thérapeutiques par prise, nombre de prises et dosage indiqués en toutes lettres ;
  • durée de prescription limitée à 28 jours ;
  • nom du pharmacien obligatoire ;
  • délivrance fractionnée par 7 jours pour la BHD ;
  • il est recommandé de faire apparaître le nombre de lignes de médicaments prescrits dans le carré de micro-lettres en bas à droite de l’ordonnance.

Par ailleurs, un contact téléphonique entre le médecin et le pharmacien devant le patient est recommandé.

Enfin, il est conseillé :

  • au médecin de garder copie de toutes prescriptions ;
  • au patient de garder toujours son ordonnance sur lui, en cas de contrôle par les autorités.

Traitement au long cours

Le traitement introduit est chronique. Le temps entre l’initialisation et la stabilisation peut être long car le système nerveux doit s’habituer à l’absence d’opiacés autre que le MSO.

L’arrêt d’un TSO peut être un objectif mais n’est pas une étape obligatoire du soin.

La diminution du traitement ne doit jamais être précipitée. Les conséquences d’une tentative de sevrage infructueuse du fait d’un arrêt prématuré du traitement peuvent être lourdes. Une proportion non négligeable des patients doit conserver un TSO au long cours, d’autant plus si la cause ayant mené à la dépendance n’est pas prise en charge.

Chez les patients stables souhaitant arrêter leur MSO (arrêt de consommation d’opioïdes autres que le MSO, stabilité du cadre de vie, activité professionnelle…), évaluer la possibilité d’effectuer une diminution progressive de la posologie échelonnée sur plusieurs mois, voire années.

Pharmacovigilance et addictovigilance

Les événements indésirables liés à la prise de MSO ou à leurs usages détournés ou abus doivent être signalés systématiquement auprès de l’ARS et/ou au Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP) du territoire concerné et/ou sur le site : https ://signalement.social-sante.gouv.fr/

Tout vol, falsification d’ordonnance, intimidation ou menace doit être immédiatement signalé aux conseils de l’Ordre, accompagné du procès-verbal établi par les autorités de police (dépôt de plainte rapide possible par internet : https ://www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr/), et faire l’objet d’un signalement d’addictovigilance.

Encadre

Prérequis à une initialisation ambulatoire du sevrage des opiacés

L’évaluation clinique du patient est nécessaire pour conclure à un trouble lié à l’usage aux opiacés. Elle recherche les éléments suivants :

  • antériorité des consommations, mode de consommation, produits consommés ;
  • co-consommations et leur antériorité ;
  • situation sociale et professionnelle ;
  • antécédents médicochirurgicaux, notamment psychiatriques ;
  • traitements actuels, prescrits ou non ;
  • signes physiques de manque (aux opiacés) précoces : bâillements, mydriase, rhinorrhées, sueurs, larmoiements ;
  • signes physiques de manque tardifs : polypnée, tachycardie, hypertension artérielle, agitation, insomnie, tremblements, piloérection, douleurs musculaires et articulaires (sans organicité sous-jacente), frissons, nausées, vomissements, diarrhées ;
  • signes de surdosage (aux opiacés) : myosis en tête d’épingle ;
  • bradypnée, bradycardie, hypotension artérielle ;
  • somnolence, dépression respiratoire ;
  • à l’extrême, peuvent s’observer apnées et coma calme, voire un arrêt respiratoire.

Le score de Handelsman (figure) peut aider à réaliser l’évaluation.

Il existe des tests urinaires de détection rapide des différentes drogues : morphine, amphétamine, cocaïne, benzodiazépines, buprénorphine, méthadone, THC, etc. Toutefois, ils ne sont pas obligatoires lors d’une initialisation de traitement par BHD.

D’après : Bara J. Comment initier un traitement par buprénorphine ?  Rev Prat Med Gen 2024 ;38(1087) ;235 - 9.

Encadre

Initialisation du traitement par buprénorphine HD en pratique

Phase d’initialisation

Elle est assez simple et courte : le patient doit interrompre sa consommation du produit opioïde auquel il est dépendant 24 heures avant de débuter le traitement.

Idéalement, on propose de débuter un lundi et de revoir le patient deux ou trois fois durant la semaine.

La dose initiale recommandée est de 8 mg/j. L’ajout d’une boîte de 2 mg sur l’ordonnance permet au patient de faire une titration si les symptômes de manque tardif apparaissent au cours de la journée. En revanche, il est conseillé de ne plus rien prendre après minuit.

Pour rappel, l’intérêt de la titration est multiple. En cas d’objectif de sevrage de la consommation d’opioïdes, elle permet d’obtenir : l’abstinence aux opioïdes (hors MSO) ; l’absence de signes de sevrage ; la diminution progressive du craving (désir intense et irrépressible de consommer) ; des effets indésirables acceptables. La posologie est à adapter à la clinique, aux interactions médicamenteuses (benzodiazépines, hypnotiques, antidépresseurs tricycliques), à une éventuelle consommation d’alcool du patient.

Éducation thérapeutique

Le passage sanguin de la buprénorphine HD s’effectue uniquement au niveau de la muqueuse buccale, rendant cette thérapeutique singulière. Tout ce qui est avalé est donc perdu (sauf pour l’enfant chez qui des cas de surdose par ingestion ont été rapportés).

Il est important de bien éduquer le patient, avec les conseils suivants :

  • trente minutes avant la prise, éviter la consommation de café, thé, tabac, alcool, menthe, dentifrice ; en effet, la vasoconstriction qu’ils induisent risque de perturber la bonne biodisponibilité ;
  • humidifier la muqueuse buccale avec de l’eau à température ambiante, afin de favoriser les échanges. Une fois le comprimé dans la bouche, le placer sous la langue jusqu’à dissolution ;
  • conserver la salive dans la bouche jusqu’à dix minutes après introduction du comprimé sans parler, boire, manger, avaler ni fumer.

La disponibilité de prise dans des conditions optimales est de 30 %.

Évaluation à J2, augmentation progressive du dosage et poursuite du traitement

À J2, l’interrogatoire du médecin permet de savoir :

  • comment le traitement a été pris ;
  • à quel moment de la journée les symptômes précoces/tardifs sont apparus ;
  • si la prise de comprimés à 2 mg a été nécessaire.

À J2, la posologie préconisée est celle de J1 additionnée de celle des interdoses. Ce schéma est répété jusqu’à la fin de la semaine. Le patient atteint alors son dosage de titration, et le praticien peut effectuer une prescription d’une à quatre semaines, selon les circonstances, pour poursuivre le traitement. On dit alors que le patient a été initialisé.

D’après : Bara J. Comment initier un traitement par buprénorphine ?  Rev Prat Med Gen 2024 ;38(1087) ;235 - 9.

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