Pour la première fois en 20 ans, un antalgique non-opïode a reçu l’AMM aux États-Unis pour le traitement de la douleur aiguë. Ciblant un mécanisme de la douleur différent de celui des opioïdes, il n’aurait pas de risque de mésusage ou dépendance. Son efficacité dans les douleurs chroniques reste à prouver…

Fin janvier, la Food and Drug Administration a autorisé la suzetrigine, une molécule qui agit en bloquant un canal sodique appelé Nav1.8 dans le système nerveux périphérique, c’est-à-dire avant que le signal douloureux n’atteigne le cerveau, contrairement aux antalgiques opioïdes qui atténuent la douleur en ciblant les récepteurs opioïdes dans le cerveau. La suzetrigine n’a donc pas le potentiel addictogène des opioïdes.

Des antalgiques locaux ciblant les canaux sodiques existent (procaïne, lidocaïne…), mais la suzetrigine – commercialisée sous le nom de Journavx – est le premier à pouvoir être administré par voie orale puisque c’est un inhibiteur très sélectif du Nav1.8, ce qui en réduit le potentiel d’effets indésirables systémiques.

Quelles sont les données d’efficacité et sécurité ?

Deux essais de phase II, randomisés, à double insu et contrôlés par placebo, ont permis d’évaluer l’efficacité de ce nouveau médicament. Ils portaient sur la douleur chirurgicale aiguë post-chirurgicale, majoritairement chez des femmes.

Dans le premier essai (traitement de la douleur aiguë après abdominoplastie), 303 participants ont été répartis en 4 groupes pour recevoir soit de la suzetrigine à deux doses différentes, soit un antalgique opioïde (hydrocodone-paracétamol), soit un placebo pendant 48 heures. Dans le second (traitement après oignonectomie), 274 participants ont été répartis en 5 groupes pour recevoir soit de la suzetrigine à trois doses différentes, soit de l’hydrocodone-paracétamol, soit un placebo, aussi pendant 48 heures. La douleur était mesurée avec une échelle numérique. Les résultats sont parus dans le NEJM en 2023.

Les deux essais ont montré une réduction de la douleur supérieure et statistiquement significative avec la suzetrigine à la plus haute dose testée (100 mg en dose de charge, suivi de 50 mg en traitement d’entretien), par rapport au placebo. Les autres dosages n’ont pas montré de différence par rapport au placebo. Le pourcentage de participants qui ont arrêté le traitement en raison d’une efficacité insuffisante était inférieur dans les groupes traités par suzetrigine, en comparaison aux groupes traitées par placebo ou par hydrocodone-acétaminophène. Toutefois, les études n’ayant pas été conçues pour comparer directement les groupes ayant pris la suzetrigine et ceux ayant pris cet antalgique opioïde, la différence d’efficacité entre ces deux thérapeutiques n’a pu être établie. Cela fait l’objet d’un essai de phase III en cours.

Enfin, le profil de sécurité a été établi sur la base de ces deux essais et d’une autre étude à un bras sur plus de 250 personnes ayant des douleurs aiguës de divers types. Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés par les personnes prenant la suzetrigine étaient un prurit, des éruptions cutanées, des spasmes musculaires et une augmentation du taux sanguin de créatine phosphokinase. Dans les deux essais de phase II, les céphalées et la constipation étaient plus fréquents sous suzetrigine versus placebo. En outre, la prise de cette molécule n’était associée ni à une dépression respiratoire ni à une sédation – effets indésirables fréquents des antalgiques opioïdes – ; les risques d’abus et dépendance n’ont pas été testés dans ces essais, mais, d’après les auteurs, le mécanisme d’action de la molécule ne fait pas craindre ce risque.

La FDA rappelle, par ailleurs, que la suzetrigine est contre-indiquée en cas d’utilisation concomitante d’inhibiteurs du CYP3A. De même, les aliments ou boissons contenant du pamplemousse sont proscrits pendant le traitement.

Enfin, les résultats concernant les douleurs chroniques sont, pour l’instant, décevants : dans une étude (pas encore publiée) évaluant son efficacité dans les sciatalgies, la suzetrigine n’a pas montré de différence significative par rapport au placebo. Le lancement d’un essai de phase III est prévu par le laboratoire.

Pour en savoir plus
U.S Food and Drug Administration. FDA Approves Novel Non-Opioid Treatment for Moderate to Severe Acute Pain. 30 janvier 2025.
Jones J, Correll DJ, Lechner SM, et al. Selective Inhibition of NaV1.8 with VX-548 for Acute Pain. N Engl J Med 2023;389(5);393-405.
Servick K. Nonopioid drug for acute pain wins FDA approval. Science. 31 janvier 2025.
Dolgin E. US drug agency approves potent painkiller – the first non-opioid in decades. Nature. 31 janvier 2025.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés